07.2013: La situation actuelle en Centrafrique
Docteur Michel Onimus


Que peut-on dire de l’évolution de la situation en République Centrafricaine, en Juillet 2013 ?

Au retour de notre mission à l’automne 2012, la route entre Alindao et Bangui était déjà peu sûre, et nous étions très heureux d’être arrivés à Bangui sans incident.
Un peu plus tard, en Février 2013, nous sommes retournés en Centrafrique, mais nous sommes restés à Bangui car toute la moitié Est du pays (et Bria qui était initialement notre objectif) était sous contrôle des rebelles. La vie à Bangui était encore normale, mais on percevait une inquiétude grandissante…
Puis, fin Mars 2013, la rébellion (la « SELEKA ») s’est emparée de Bangui et on connait la suite, avec une mise à sac complète de la ville, des scènes de pillages, des violences sur la population expatriée et centrafricaine, une destruction jamais observée, même lors des multiples coups d’états qui se sont succédés dans le pays par le passé. Les Eglises catholique et protestante ont été particulièrement visées, au point que de nombreux observateurs ont évoqué une volonté d’islamisation du pays, d’autant que le nouveau président est lui-même musulman.

Durant toute cette période, il nous a semblé totalement impossible d’organiser une mission pour travailler auprès des enfants handicapés, et nous avons du reporter à trois reprises, puis finalement annuler, nos projets de mission qui auraient du se dérouler à Bria et Bangui en Mars, puis à Mongoumba et Bangui en Avril…

Actuellement, fin Juillet 2013, on observe une amélioration, lente, trop lente, mais certaine : les cas d’exactions sont moins fréquents, l’insécurité est moins grande, même si des règlements de comptes ou des exécutions sommaires sont encore quotidiens ; la circulation a timidement repris, même si ce sont surtout des taxis que l’on rencontre dans les rues. Il semble que deux mois de salaires ont été payés (sur 4 mois d’arriérés), et les structures publiques et notamment les hôpitaux semblent reprendre un peu d’activité.

Il faut rester optimiste, et espérer que cette évolution va se poursuivre ; de nombreux obstacles restent à écarter ou résoudre : la reprise de l’économie, la reconstruction du pays, au plan matériel et au plan humain, l’avenir des troupes qui constituent le Séléka, qui restent armées et revendiquent d’être rémunérées par un gouvernement qui n’a aucun moyen financier, et qui continuent à se « payer sur le tas », …

En pratique, nous maintenons le projet d’une mission en Novembre 2013 à Berbérati et à Bangui. Ce projet avait été mis sur pied lors de notre dernière mission à Berbérati, en Avril 2012, et nous espérons bien que les conditions nous permettrons de le réaliser.


Nous avons sélectionné, parmi les documents que nous avons reçus, deux témoignages :
celui de Mgr Dieudonné NZAPALAINGUA , Archevêque de Bangui, et celui de Mgr Juan Jose AGUIRRE , Evêque de Bangassou.
Enfin nous reproduisons un
récit paru le 6 Juin dans le journal Libération , qui laisse imaginer les conditions de vie durant toute cette période, et qui évoque l’étonnante inertie de l’ambassade de France à Bangui…
Témoignage de Mgr Dieudonné NZAPALAINGUA (Vendredi 19 Avril 2013) recueilli par Marie Duhamel
Dans le quartier de Boy Rabe, j’ai vu des camions qui emportaient des frigidaires, des congélateurs, ce qui veut dire que les pillages continuent encore. Alors je ne peux concevoir qu’en plein jour des gens aillent piller et que personne au niveau des autorités ne puisse agir.
Tout le quartier s’était vidé hier (Mardi) parce qu’il y avait une peur bleue comme quoi on allait brûler le quartier. Moi-même j’ai accompagné des enfants à pied pour leur faire traverser la route. Car tous ces enfants, y compris leurs parents, avaient peur. Psychose, scènes d’angoisse. Et je me pose la question : comment peut-on accepter de traumatiser les plus petits enfants qui sont l’aujourd’hui et le demain d’un pays ?
Rien qu’à voir les armes, les coups de feu et les véhicules qui roulent à vive allure, tous ces enfants ont peur. Il n’y a pas de climat de confiance, mais avec qui va-t-on travailler ? Ce sont des questions que les nouveaux responsables doivent se poser eux-mêmes.
Il est temps de créer ce climat de confiance. Il est temps de sécuriser les personnes et nous attendons cela des responsables politiques. Or actuellement nous avons l’impression que les éléments de la Séléka, qui ont tout le pouvoir, peuvent faire ce qu’ils veulent. Le moment est venu pour que ceux qui les ont amenés puissent les discipliner, les caserner, les cantonner et les désarmer, afin que la population puisse vaquer à ses occupations.


- Est-ce un fait avéré que ce sont les rebelles du Séléka qui ont commis pillages et violences ?
Ce que je sais, c’est ce que je vois en plein jour : des véhicules avec marqué dessus Séléka, qui s’arrêtent pour piller. Si ceux-ci sont de faux Séléka, eh bien maintenant c’est aux responsables de venir les désarmer quand on les appelle. Or pendant deux heures, trois heures, ces gens-là commettent leurs forfaits. On appelle : personne ne bouge. Ou bien il y a des complicités, ou bien il y a un laisser faire, ou bien ces gens sont débordés.

- Ces populations, qui ont fui tous ces quartiers, ont-elles de quoi se loger et se nourrir ?
Justement, de mémoire de Centrafricain, je n’ai jamais vécu cela de ma vie. Il s’agit de gens qui ont fui pour se réfugier à l’hôpital. A l’hôpital communautaire, à l’hôpital de l’amitié dont je viens de sortir, cet hôpital accueille 1400 personnes. Scènes de désolation de petits enfants à même le sol qui n’ont rien à manger. Une maman m’a dit hier « je n’ai mangé qu’une seule mangue de toute la journée ». Voilà pourquoi avec les éléments de Caritas et tous les bénévoles, j’ai convoqué une réunion avec tous les chrétiens.
Pour nous, croire en Dieu ce n’est pas seulement une théorie, c’est une vie. On doit maintenant rencontrer le Christ à travers nos frères qui sont déplacés ou qui sont dans les hôpitaux ou qui errent et qui se demandent si des gens peuvent encore s’occuper d’eux. Aujourd’hui les chrétiens sont dans les hôpitaux, en train de préparer des repas pour les offrir à leurs frères et sœurs sans distinction de religion, de race ou de région, car tout homme est créé à l’image de Dieu, et le message du Christ est un message universel.


- J’ai entendu dire que la cathédrale de Bangui et des fidèles ont été pillés dimanche dernier. Peut-on parler de tension ?
Cette tension religieuse, s’il y a des personnes mal intentionnées qui veulent la faire advenir, nous sommes les sentinelles d’aujourd’hui et de demain et nous essayons de barrer la route à ces gens-là. Cette crise militaro-politique n’est pas religieuse. La République Centrafricaine est un pays laïc. Il y a la liberté religieuse et chacun est libre de professer sa foi, qu’on soit musulman, chrétien catholique ou protestant. On peut confesser sa foi. Maintenant, vouloir imposer l’enjeu religieux dans la sphère politique, nous disons non. Et nous le disons haut et fort : ceux qui tendent ce genre de piège ou qui veulent jeter ce genre de peau de banane, nous devons être vigilants pour les écarter, les isoler. (…)

- Mais est-ce qu’il y a des religieux ou religieuses qui ont été touchés par ces violences ?
Même à Bangui nous avons des cas. Je vous donne un exemple : un père lazariste a été agressé quand les Séléka sont entrés dans Bangui. Il a été blessé à la main, aux pieds. On l’a soigné. Il y a eu des coups de fusil. Il a été obligé de se mettre par terre. On a pillé aussi sa maison. Ce sont des actes d’humiliation que nous ne pouvons pas accepter ni tolérer. J’exprime mon indignation devant ce genre de comportement déshumanisant. Les Séléka sont également entré chez des Pères, ils ont pris tout le matériel, ils ont essayé de les bousculer, mais les Pères sont restés calmes. On ne peut pas accepter qu’on vienne toucher à nos responsables. (…). Moi aussi je n’ai pas le droit de professer des mensonges ou des menaces, ni d’agresser un musulman. Je dois le respecter car c’est un Centrafricain comme moi, c’est un être humain comme moi (…)

- Pour vous, la priorité, c’est le retour à l’ordre ?
La première priorité, c’est la sécurisation, la sécurité des personnes et des biens. Dans la journée les gens hésitent à sortir, et nous demandons aux responsables de s’impliquer davantage : cantonner, désarmer, éloigner tous les éléments de Séléka qu’ils appellent eux-mêmes « incontrôlés », et que les gendarmes et policiers qui existent bel et bien reprennent leur service. (…)
Actuellement, nous avons des gens qui n’ont pas pu aller aux champs, et bientôt la saison est finie pour planter et nous allons avoir des catastrophes humaines au niveau de la famine parce que les gens n’auront pas de récolte. Ils vont devenir des mendiants…
Mail de Mgr Juan Jose AGUIRRE, Evêque de Bangassou, le 26 Mai 2013

Chers amis,

Avant hier 23 mai, je suis descendu à Bangui pour des affaires de nos séminaristes. Il a été difficile de trouver une place dans l'avion du PAM (du Togo et du Baffoussan, surtout). Après les événements de Ouango, 4 chefs tués, 900 maisons brulées, mission catholique pillée ainsi que la sacristie et le tabernacle profanés, exécutions sommaires, exactions, vols, hôpital vidé, complicité de plusieurs personnes de Bema, etc.

A Bangassou les choses se sont calmées un peu, la téléphonie a recommencé, les confrères d'Alindao vont bien, même s'ils marchent à pied comme nous et les gens pleurent quand ils nous voient comme ça. Encore hier, à Gambo, des jeunes soldats sans préparation et sans crainte de Dieu nous ont volé notre voiture. Les écoles Antoine Marie et saint Pierre Claver ont recommencé après une rencontre des protestants, musulmans et catholiques avec les Selekas pour leur demander la "normalisation" de Bangassou. Le Bon Samaritain et la Pédiatrie ont recommencé et beaucoup de malades arrivent de partout, curieusement beaucoup de musulmans, les parents de ceux qui avaient détruit la pharmacie et la pédiatrie il y a un mois et demi, aidés par quelques pillards, toutes religions confondues...

Un nouveau C.B., habillé comme un centrafricain (pas la tenue militaire), originaire de Birao est arrivé à Bangassou, a désarmé les commandants qui trônaient sur Bangassou ainsi qu’une une partie de leurs troupes (d'autres se sont enfuis avec leurs armes et deviendront des "araguina") et il cherche à arrêter les exactions et les viols sur les pauvres gens de Bangassou. Il attend d'autres Seleka fidèles au régime qui souhaitent renvoyer chez eux tous les mercenaires. Mais ils sont peu, et ne peuvent pas maitriser tous les pillards et mercenaires confondus qu'ils ont amenés avec eux.
A Bangui, c'est encore plus compliqué et l'insécurité est plus grande, les vols plus répétés et la préoccupation plus à fleur de peau. Les gens en ont ras le bol de cette situation. Ils veulent renvoyer les mercenaires en province et placer la FOMAC à Bangui, mais cela sera une charge énorme pour les provinces...


Recevez mes salutations fraternelles.

Mgr Aguirre (Bangassou)
LIBERATION 6 juin 2013
A Bangui, les Français seuls face aux pillards
Les témoignages recueillis par «Libération» montrent des expatriés délaissés par l’ambassade lors de la violente prise de la capitale centrafricaine par les rebelles du Séléka.
Par MARIA MALAGARDIS
Echos d’un sombre empire : c’est avec ce titre inquiétant que le cinéaste allemand Werner Herzog avait entrepris de raconter les heures sombres de la dictature de l’empereur Bokassa en 1990. Plus de vingt ans plus tard, les échos qui proviennent de Centrafrique sont également inquiétants, alors qu’un nouveau régime a succédé fin mars par les armes à celui du président François Bozizé. Mais il y a d’autres échos, tout aussi troublants, qui commencent à se multiplier. Ils révèlent des scènes de terreur vécues par les expatriés français au moment de la prise de Bangui en mars par les rebelles du Séléka.

Les Français installés en Centrafrique ne comprennent toujours pas pourquoi leur ambassade, pourtant la seule appuyée par une force militaire (près de 600 militaires français étaient présents à Bangui dès le 24 mars), a refusé leur évacuation et même leur regroupement, les exposant ainsi à des violences qui, selon eux, auraient pu être évitées.

Une dizaine de témoignages que Libération a pu se procurer décrivent des familles paniquées, barricadées chez elles sous les tirs incessants d’obus ou de kalachnikovs, et souvent confrontées à des groupes incontrôlables qui n’hésitent pas à menacer de mort des adultes sous les yeux de leurs enfants. Bien plus, même secourus après des heures ou des jours d’angoisse, ces expatriés ont eu le sentiment d’être une seconde fois abandonnés par leur ambassade, qui n’avait prévu pour les accueillir qu’un hangar sans eau courante ni lits ou nourriture en quantités suffisantes. (…)

«Terreur». Deux mois et demi après les événements, les Français de Bangui restent partagés entre incompréhension et colère : pourquoi ont-ils été abandonnés face aux pillards ? Pourquoi l’ambassade n’a-t-elle pas répondu à leurs appels au secours ? «L’ambassade de France et son personnel sont restés injoignables toute la journée» , dénonce Lucas, en évoquant ce dimanche 24 mars au cours duquel il a subi «plusieurs heures de braquage» , voyant «la terreur dans les yeux des cinq enfants » présents à ses côtés. Pour seule consigne, le même SMS sera envoyé à plusieurs reprises par l’ambassade : «Restez chez vous.»

Chef de mission d’une ONG française, Rémi a d’abord suivi ces conseils en toute confiance, persuadé d’être «sous la protection directe et rapprochée de l’ambassade». Jusqu’à ce que sa villa soit pillée à plusieurs reprises et qu’il soit victime d’un simulacre d’exécution. (…) Aujourd’hui «en transit» à Valenciennes, Cécile «repense tous les jours» à ces journées terribles. Avec son mari, Damien, et leurs quatre très jeunes enfants, ils étaient installés à Bangui depuis septembre et vivaient dans un quartier excentré de la capitale.
«Dès le vendredi 22 mars, tout le monde savait que la ville allait tomber. L’entreprise de mon mari avait affrété un avion pour nous évacuer, mais l’aéroport était loin de notre villa. J’ai donc appelé l’ambassade pour savoir s’ils pouvaient envoyer des militaires nous escorter. Ils m’ont répondu qu’ils ne faisaient pas taxi, nous laissant nous débrouiller» , se souvient cette femme dont les deux plus jeunes enfants n’avaient que 21 et 6 mois.

Contraints de rester dans leur maison, Cécile et son mari subissent alors les assauts de plusieurs groupes de pillards qui défoncent la porte d’entrée à coups de barre de fer. Puis qui enclenchent le chargeur d’une kalachnikov pointée sur la tête de Damien, avant de menacer de trancher le bras de Cécile avec une machette. Toujours devant les enfants en larmes, et pendant que leur maison est mise à sac. En sortant de la villa, leurs deux bébés dans les bras, ils essuieront des tirs. Des militaires français finiront par les délivrer, quarante-huit heures après l’arrivée des premiers pilleurs.
«Je n’y croyais plus» , soupire Cécile qui, dès le dimanche matin, avait pourtant appelé l’ambassade au secours. «En vain» , dit-elle. (…)

Parqués. «L’ambassade nous avait rassurés en nous disant que les Français n’étaient pas visés par le Séléka» , renchérit Nathalie, qui a passé sept heures cachée sous une table, avec son mari et sa fille de 9 ans, paniquée par «le bruit infernal» des tirs d’obus et de kalachnikovs. Un convoi finit par venir les délivrer. Mais le calvaire continue. Devant l’ambassade, il leur faut payer 23 euros par personne pour obtenir des laissez-passer, «alors que certains ont tout perdu» . Les expatriés apprennent ensuite qu’ils devront payer 680 euros s’ils veulent partir, forcément sur un vol commercial, puisqu’il n’y a pas de consigne d’évacuation.

Entre-temps, près de 200 personnes, arrivant par vagues successives, se retrouvent parquées dans un hangar au sol en terre battue, dans des conditions d’extrême précarité.
«Nous n’avons senti aucune compassion, aucune bienveillance» , constate Cécile, contrainte de partager un lit et deux rations militaires avec son mari et ses quatre enfants. Comme les autres expatriés, elle ne tarit pas d’éloge en revanche sur les militaires français du camp MPoko, où elle atterrit ensuite avec sa famille, dernière étape avant l’aéroport : «Pour la première fois, nous nous sentions accueillis, gérés, protégés» , souligne Isabelle, restée deux jours seule avec son bébé dans un appartement de Bangui, en dépit d’incessants appels au secours.

Jamais l’ambassade ne fera son mea culpa ni ne donnera d’explication sur cette curieuse gestion des ressortissants français, qui seront même traités de
«bobos tiers-mondistes» par un responsable de l’ambassade dans un mail daté du 28 mars. «Ces ressortissants français attendaient au moins une explication réparatrice» , se désole la sénatrice Kalliopi Ango Ela. Le Quai d’Orsay n’a pas non plus souhaité réagir aux questions de Libération.
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