Echos d’un sombre empire :
c’est avec ce titre inquiétant que le cinéaste allemand Werner Herzog avait entrepris de raconter les heures sombres de la dictature de l’empereur Bokassa en 1990. Plus de vingt ans plus tard, les échos qui proviennent de Centrafrique sont également inquiétants, alors qu’un nouveau régime a succédé fin mars par les armes à celui du président François Bozizé. Mais il y a d’autres échos, tout aussi troublants, qui commencent à se multiplier. Ils révèlent des scènes de terreur vécues par les expatriés français au moment de la prise de Bangui en mars par les rebelles du Séléka.
Les Français installés en Centrafrique ne comprennent toujours pas pourquoi leur ambassade, pourtant la seule appuyée par une force militaire (près de 600 militaires français étaient présents à Bangui dès le 24 mars), a refusé leur évacuation et même leur regroupement, les exposant ainsi à des violences qui, selon eux, auraient pu être évitées.
Une dizaine de témoignages que Libération a pu se procurer décrivent des familles paniquées, barricadées chez elles sous les tirs incessants d’obus ou de kalachnikovs, et souvent confrontées à des groupes incontrôlables qui n’hésitent pas à menacer de mort des adultes sous les yeux de leurs enfants. Bien plus, même secourus après des heures ou des jours d’angoisse, ces expatriés ont eu le sentiment d’être une seconde fois abandonnés par leur ambassade, qui n’avait prévu pour les accueillir qu’un hangar sans eau courante ni lits ou nourriture en quantités suffisantes. (…)
«Terreur».
Deux mois et demi après les événements, les Français de Bangui restent partagés entre incompréhension et colère : pourquoi ont-ils été abandonnés face aux pillards ? Pourquoi l’ambassade n’a-t-elle pas répondu à leurs appels au secours ?
«L’ambassade de France et son personnel sont restés injoignables toute la journée»
, dénonce Lucas, en évoquant ce dimanche 24 mars au cours duquel il a subi
«plusieurs heures de braquage»
, voyant
«la terreur dans les yeux des cinq enfants
» présents à ses côtés. Pour seule consigne, le même SMS sera envoyé à plusieurs reprises par l’ambassade :
«Restez chez vous.»
Chef de mission d’une ONG française, Rémi a d’abord suivi ces conseils en toute confiance, persuadé d’être «sous la protection directe et rapprochée de l’ambassade». Jusqu’à ce que sa villa soit pillée à plusieurs reprises et qu’il soit victime d’un simulacre d’exécution. (…) Aujourd’hui «en transit» à Valenciennes, Cécile «repense tous les jours» à ces journées terribles. Avec son mari, Damien, et leurs quatre très jeunes enfants, ils étaient installés à Bangui depuis septembre et vivaient dans un quartier excentré de la capitale.
«Dès le vendredi 22 mars, tout le monde savait que la ville allait tomber. L’entreprise de mon mari avait affrété un avion pour nous évacuer, mais l’aéroport était loin de notre villa. J’ai donc appelé l’ambassade pour savoir s’ils pouvaient envoyer des militaires nous escorter. Ils m’ont répondu qu’ils ne faisaient pas taxi, nous laissant nous débrouiller»
, se souvient cette femme dont les deux plus jeunes enfants n’avaient que 21 et 6 mois.
Contraints de rester dans leur maison, Cécile et son mari subissent alors les assauts de plusieurs groupes de pillards qui défoncent la porte d’entrée à coups de barre de fer. Puis qui enclenchent le chargeur d’une kalachnikov pointée sur la tête de Damien, avant de menacer de trancher le bras de Cécile avec une machette. Toujours devant les enfants en larmes, et pendant que leur maison est mise à sac. En sortant de la villa, leurs deux bébés dans les bras, ils essuieront des tirs. Des militaires français finiront par les délivrer, quarante-huit heures après l’arrivée des premiers pilleurs.
«Je n’y croyais plus»
, soupire Cécile qui, dès le dimanche matin, avait pourtant appelé l’ambassade au secours.
«En vain»
, dit-elle. (…)
Parqués.
«L’ambassade nous avait rassurés en nous disant que les Français n’étaient pas visés par le Séléka»
, renchérit Nathalie, qui a passé sept heures cachée sous une table, avec son mari et sa fille de 9 ans, paniquée par
«le bruit infernal»
des tirs d’obus et de kalachnikovs. Un convoi finit par venir les délivrer. Mais le calvaire continue. Devant l’ambassade, il leur faut payer 23 euros par personne pour obtenir des laissez-passer,
«alors que certains ont tout perdu»
. Les expatriés apprennent ensuite qu’ils devront payer 680 euros s’ils veulent partir, forcément sur un vol commercial, puisqu’il n’y a pas de consigne d’évacuation.
Entre-temps, près de 200 personnes, arrivant par vagues successives, se retrouvent parquées dans un hangar au sol en terre battue, dans des conditions d’extrême précarité.
«Nous n’avons senti aucune compassion, aucune bienveillance»
, constate Cécile, contrainte de partager un lit et deux rations militaires avec son mari et ses quatre enfants. Comme les autres expatriés, elle ne tarit pas d’éloge en revanche sur les militaires français du camp MPoko, où elle atterrit ensuite avec sa famille, dernière étape avant l’aéroport :
«Pour la première fois, nous nous sentions accueillis, gérés, protégés»
, souligne Isabelle, restée deux jours seule avec son bébé dans un appartement de Bangui, en dépit d’incessants appels au secours.
Jamais l’ambassade ne fera son mea culpa ni ne donnera d’explication sur cette curieuse gestion des ressortissants français, qui seront même traités de
«bobos tiers-mondistes»
par un responsable de l’ambassade dans un mail daté du 28 mars.
«Ces ressortissants français attendaient au moins une explication réparatrice»
, se désole la sénatrice Kalliopi Ango Ela. Le Quai d’Orsay n’a pas non plus souhaité réagir aux questions de Libération.