LE STAGE DE FORMATION DES REEDUCATEURS
Un stage de remise à niveau des rééducateurs centrafricains était souhaité depuis longtemps. Les rééducateurs sont nos partenaires directs lors des missions chirurgicales ; ils assurent le suivi et la rééducation des enfants opérés, et l’ACMC est ainsi directement concernée par leur formation et leur compétence. Leur formation avait été assurée pour la plupart par Handicap International, qui avait organisé un projet sur 10 ans à Bangui, de1992 à 2002.

A cette époque, la poliomyélite faisait encore des ravages et cette formation avait été centrée surtout sur les séquelles de cette affection. Actuellement la pathologie a changé, et on rencontre notamment beaucoup de séquelles de problèmes neurologiques, devant lesquelles les rééducateurs sont très démunis. Grâce à des subventions du Conseil Régional de Franche Comté, du Conseil Municipal de Besançon, et grâce à d’importants dons privés, nous avons eu la chance de pouvoir organiser un premier stage de remise à niveau, centré sur les pathologies observées actuellement, qui s’est déroulé à Bangui dans les locaux du centre de rééducation pour Handicapés Moteurs CRHAM, du 27 Octobre au 9 Novembre 2010.

Le stage a été assuré par Françoise VOUILLOT, Orthophoniste, Pierre CHEVIGNARD, Masseur-kinésithérapeute et Vincent DEMEY, également Masseur-kinésithérapeute. Ils donnent ici leurs impressions, vivantes, colorées, chaleureuses…

Ils terminent par un
abécédaire dont il faut déguster chaque mot…








Nos cuisinières
Découverte ou retour au pays, trois « bounjou » (les blancs…) ont débarqué à Bangui M’Poko le mercredi 27 octobre au soir pour 15 jours de formation des rééducateurs de la capitale et de province. Nous serons accueillis au CRHAM (Centre de Rééducation des Handicapés Moteurs) de Bangui, notre lieu de formation, et logés au Centre d’Accueil des Missions bien connu de nous tous.


La proposition de stage ayant eu beaucoup de succès, nous avons dû diviser les 15 jours en deux sessions de 10 demi journées pour 18 à 24 stagiaires. Le premier groupe travaillant à Bangui même et le second plutôt en province, Dekoa, Berberati, Bossembele, etc. Les premiers se connaissent presque tous, les seconds, plus éloignés, ont fait connaissance.
Après quelques palabres de démarrage, désaccords sur l’attribution de « per-diem », sur le menu de la collation de midi et autres chinoiseries, quelques stagiaires sont retournés « bouder » dans leur quartier et ne sont pas revenus par la suite.
Nous avons travaillé en grand groupe (tous les stagiaires de chaque session) pour les cours théoriques et en petits groupes (trois tiers) pour la mise en pratique. Nous avons également expérimenté un dispositif intéressant : l’un de nous travaillant avec un patient et les deux autres commentant ce qui se passe afin de permettre au praticien de se consacrer entièrement à son patient sans avoir besoin de faire cours en même temps.
Un petit tour dans un quartier nous a également permis de toucher d’un peu plus près le quotidien des jeunes handicapés.

Un constat pour commencer : les rééducateurs ont un niveau très moyen. Leurs connaissances nous ont semblé limitées à l’exécution de tâches de mobilisations articulaires reposant sur très peu de connaissances anatomiques, physiologiques ou pathologiques.


Vincent et Sœur Consolation
Et pour ce qui concerne la qualité de la prise en charge, nous avons été plutôt choqués (voire bouleversés) par la pauvreté de la relation que les soignants établissent avec leurs patients. Nous faisions cours sous la paillotte (couverte, malheureusement, de tôle et non de paille) et entendions les cris des enfants mis en posture sur un banc pour étirer les muscles de leurs cuisses, rétractés par les séquelles d’injections de Quinimax. Aucune parole n’est échangée avec les petits patients, on ne les regarde même pas.
Pas un jouet ne leur est proposé pour occuper les longues minutes de verticalisation, sanglés sur une planche appuyée au mur.

Triste constat ! Et pourtant, quel groupe sympathique, quelle facilité de relation, quel humour, bien souvent, chez ces rééducateurs. Vraiment, nous avons eu du mal à nous quitter, tous les soirs et le 10 novembre, bien sûr, à l’issue du stage.



Enseignement dans le quartier
La polio étant bien maîtrisée actuellement par une vaccination efficace, les demandes de formation portaient essentiellement sur l’Infirmité Motrice Cérébrale et autres encéphalopathies (maladie du Konzo, méningites, etc.), sur le pied bot et l’étirement du plexus brachial, les séquelles d’injection de Quinimax, sur la surdité et les troubles de la parole, l’hémiplégie, les myopathies et quelques autres pathologies.

Nous avons dû également répondre à des demandes sur la médecine du sport ou les lombalgies (difficile de ne pas nous laisser embarquer sur d’autres terrains). Mais l’approche de l’IMC et de la surdité, tout particulièrement, demandent une grande empathie avec le patient.

Nous avons tenté de proposer une conduite avec l’enfant, respectueuse et accueillante, un espace symbolisé par une bulle englobant l’enfant et son rééducateur non parasités par ce qui se passe autour, où l’enfant se sente une personne (non une pathologie, un bras ou une jambe malade).
Difficile !

Comment faire passer à la fois des connaissances théoriques et insister sur l’importance de la qualité de la relation, due peut-être à une culture très différente? Nous avons eu l’impression que cette qualité de relation, importante pour nous, était considérée comme vraiment sans aucune utilité.

A quoi peut bien servir de parler à un enfant ou de lui prêter un jouet ? Cela améliore-t-il les amplitudes articulaires ? Les rééducateurs ont été très surpris de nous voir jouer avec les petits, leur parler, même si nous n’avons pas la même langue, raconter des histoires, mettre en scène des temps d’apprentissage et aussi de plaisir pour faire des séances de rééducation, plaisir de progresser, de découvrir de nouvelles choses, ou tout simplement d’être bien.
Il faudrait peut-être pouvoir vivre un peu plus longtemps dans le service, travailler au quotidien sur une plus longue période avec les patients pour donner envie aux rééducateurs de vivre aussi des temps forts avec leurs patients.

Difficile de faire passer l’idée que le travail de rééducateur peut ne pas être ennuyeux mais être un grand plaisir de voir des enfants heureux de venir ; de ne plus voir des enfants qui pleurent, mais des enfants qui travaillent en jouant, en chantant.
Les diplômés du premier groupe
Les diplômés du second groupe
Arrêtons de rêver… Nous espérons avoir donné un peu envie aux rééducateurs de continuer à avancer. Même si nous sommes passés, parfois, pour de drôles de zigotos, il nous semble avoir éveillé la curiosité de quelques uns qui pourraient avoir envie d’approfondir.

Nous avons échangé adresses, numéros de téléphone en espérant garder le contact pour des échanges d’informations. La RCA est passée à l’ère d’Internet et les stagiaires ont été d’accord pour rester reliés entre eux et avec nous. Untel qui s’y connaît en pied bot pourrait en être le référent tandis que tel autre sera consulté pour ses connaissances en langue des signes. Nous espérons que l’enthousiasme de fin de stage ne va pas s’en aller au fil de l’Oubangui…


Françoise, Vincent et Pierre.
Françoise VOUILLOT, orthophoniste au CEEDA (Besançon)
Vincent DEMEY, kinésithérapeute au SESSD de l’APF (Besançon)
Pierre CHEVIGNARD, kinésithérapeute au SESSD de l’APF (Besançon)
Notes de Françoise
Nous avons organisé deux sessions de 10 demi-journées. Chaque jour, nous proposions de la théorie (sur les différentes pathologies rencontrées, sur le langage, son développement, les accès à la communication…) et des travaux en ateliers (chacun d’entre nous proposait un atelier et les stagiaires se divisaient en trois groupes et participaient ainsi à chaque atelier). Le temps de midi se voulait convivial, autour d’un casse croûte, pour échanger, répondre aux questions de manière moins stricte. L’après-midi, nous accueillions des patients et faisions de la pratique, accompagnés des stagiaires.

Nous avions envie que les liens entre les différents types de prise en charge (kinésithérapique et orthophonique) se tissent de manière naturelle. Ainsi nous avons parlé de l’importance de la posture des patients pour être dans une situation de communication la plus favorable possible, de l’importance de la parole et du langage lors des soins en kiné. Ceci a été en quelque sorte le fil rouge de nos communications : l’importance de la relation, de la rencontre pour travailler le mieux possible.

Françoise et la Langue des Signes
En ce qui concerne l’orthophonie, les connaissances de nos stagiaires étaient bien en deçà de ce que j’avais imaginé. Et mes « préparations » un peu trop académiques et difficiles ! J’ai néanmoins parlé de manière assez magistrale du langage, de son développement, des stades d’acquisition, du fonctionnement de l’oreille, de la surdité… J’ai aussi proposé nombre de petits ateliers permettant aux stagiaires de s’essayer à… parler, partager, jouer avec les mots… en tentant ensuite de faire avec eux une analyse de ce qu’ils avaient vécu, ressenti et pensé.

Nous avons également abordé d’autres moyens de communication (certains enfants sont sans langage, d’autres sont sourds non diagnostiqués) : chaque stagiaire a reçu un prénom en LSF (Langue des Signes Française) , associé à un pictogramme. Cela nous a permis de découvrir d’autres modes d’expression, comme le mime associé à des signes de la LSF. Le passage aux pictogrammes (donc à une certaine forme d’écrit) a été intéressant et riche de découverte et d’analyse.

Le travail en atelier se faisait en petits groupes (environ 8 personnes), ceci a autorisé chacun à oser, à essayer, à se montrer, à se dire…

Les rencontres avec les patients étaient riches également. Certaines ont permis un début d’élaboration de prise en charge que j’ai réfléchi et proposé aux rééducateurs. Auront-ils suivi et continué mes propositions ? J’ai vu plusieurs enfants qui ne parlaient pas et qui n’avaient visiblement pas d’importants problèmes d’audition. Edgar, 18 ans, avec un désir et une appétence à la communication mais sans possibilité d’articuler et de prononcer les mots. Je m’adresse à lui en signes. Il les saisit et se les approprie très rapidement malgré ses difficultés physiques.

Providence, qui regarde tout, entend tout, mais ne dit rien. Lors de notre première rencontre, je lui propose quelques pictogrammes dont elle n’a pas l’air de faire grand chose. Elle se déplace dans la salle, regarde les gens, les choses et les lieux. Elle ne sourit pas. Son visage est sévère. Sa deuxième visite commence de la même manière. Elle accepte cependant les pictogrammes que je refais pour elle (les mêmes que la fois précédente). Elle comprend que le jeu est de donner chaque image à la personne correspondante… Je sens qu’il y a des choses possibles avec cette petite fille, mais il faudra du temps. Je parle beaucoup avec ses parents et avec son rééducateur pour chercher avec eux que faire pour aider Providence à adhérer à un code. Je construis un début de programme et le laisse au rééducateur.

Avons-nous réussi à faire passer notre message ou au moins une partie de notre message ? Je ne peux pas savoir ce qui en sera fait ni ce qui en restera. J’ai souvent le sentiment que notre apport a été comme une goutte d’eau dans l’océan. Et souvent aussi je me dis que l’océan est fait de milliers de gouttes d’eau…

Françoise VOUILLOT, orthophoniste au CEEDA (Besançon)
Abécédaire centrafricain
Aéroport
Bangui M’Poko, pas plus grand qu’un gymnase, attente fatigante comme un voyage.
Avion
A 340, + 1 : Bozizé est parmi nous.
Arachides
en graines, en pâte, à toutes les sauces.
Bangui La Coquette
on y était ! Bienvenue !
Banane-pomme
miam miam ! vers 16h30 sur notre terrasse, chaque jour à l’heure du goûter, + pommes cythères et carambars…
Berbérati
le paradis, dixit Pierre ! On demande à voir la prochaine fois.
Cathédrale
réveil matin, chorale matinale, sonnez les matines !
Case
3 petit tours et puis s'en vont dans les quartiers avec sœur Léontine.
Chaleur
à tout heure, de jour comme de nuit
Cadenas
sert à fermer les coffres de voiture !
Déca
notre chauffeur, le dénommé « Déca » s’appelle finalement « Giscard » !
Doxycycline
tous les soirs en apéro, à notre santé !
Enfants
en rires, en pleurs, beaux, beaucoup, plein, partout…
Fleuve
Oubangui, large, majestueux, dangereux, frontière.
Fleurs
partout des couleurs.
Gecko
l’ami de chaque jour, le stagiaire clandestin, jamais ko !
Goyaves
cueillies au bâton, mangées à la main.
Huile de palme
en bidons sur les marchés
Insecte
pas trop, mais quand même une énorme mante religieuse !
Jour
tôt (cf nuit), vers 5 h du matin, accompagné de chants (cf cathédrale).
Konzo
manioc, cyanure, encéphalite (et non pas myopathie !)
Latérite
rouge orangé, partout, y compris dans les trous de nez.
Luiggi
belle rencontre, riches débats au Centre d’Accueil.
Moustiques
Miam miam aussi, ils apprécient particulièrement la délicieuse orthophoniste !
Mocaf
en bière ou en soda. Tchin !
Manioc
frit ou en boule, gare au cyanure ! (cf konzo)
Nuit
tôt (cf jour).
Oranges
vertes, pré-épluchées, à boire.
Oeufs
en équilibre sur la tête.
PK5
expérience unique , marché ténébreux, visite labyrinthique.
Paillotte
notre salle de formation aux tôles ondulées, aux poutres grignotées (miam miam encore) par les termites.
Paludisme
merci la doxy pour les bounjou et bonjour le Quinimax pour les autochtones !
Pneu
Poum ! 30000 CFA !
Pirogues
à l’embarcadère de la baleinière, l'Oubangui charrie les odeurs aussi.
Pluie
assourdissante sur le toit de la paillote
Quinine
cf Quinimax.
Quinimax
un max de problèmes, redoutable souvent, handicapant parfois, le bien et le mal.
Quand
quand est-ce qu’on y retourne ?
Route
anagramme de trou(e).
Sandwich à la sardine
à défaut de capitaine...
Trous
beaucoup (voir route).
Termite
translucide, tout petit et redoutable lui aussi.
Taxi
jaune, comme à New York ! 3 devant, 5 derrière + une vache dans le coffre.
Uniforme
scouts, chorales, écoles, partout.
Voyageur
arbre (du).
Wagon
cherchez pas, y’en a pas !
Xylophage
chenilles grillées (pas miam miam).
Y
y retourner
Z
z’aimerions bien !


Pierre, Vincent, Françoise Décembre 2010.
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